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Il ne peut rien arriver de pire à un patron : perdre un homme au feu. Hier matin, dans son bureau du Centre de Secours de Roubaix, boulevard de Mulhouse, le Commandant Bruno Moulard, entouré de quelques-uns de ses hommes, a la mine grave et déterminée. On lui passe sous les yeux quelques photos de Mickaël Dufermont, ce jeune caporal qui a trouvé la mort au feu dimanche après-midi. Il était de service la soirée du réveillon de la Saint-Sylvestre et on le voit, joyeux, au milieu de ses camarades.
Le Commandant Moulard soupire « Il était rentré à Roubaix le 1er janvier 1999, il y a tout juste trois ans. Il avait fêté son anniversaire le 21 décembre dernier et il allait être papa au mois de mars ! C'est terrible ».
Un représentant de l'amicale des sapeurs-pompiers vient préparer l'hommage qui sera rendu ces jours-ci au jeune pompier roubaisien : une chapelle ardente sera installée samedi et dimanche dans la caserne, le public pourra venir rendre hommage au pompier dimanche. Les funérailles devraient avoir lieu lundi. La levée du corps donnera lieu à une manifestation officielle. Comme pour dissimuler leur chagrin, leur douleur, les pompiers s'activent en tous sens. Et puis il y a le métier qui est là, qui n'attend pas avec les sorties des véhicules rouges qui se succèdent.
Le Commandant Bruno Moulard nous explique « Et pourtant ce n'était pas un feu exceptionnel. Presque un cas d'école pour nous : un local industriel très enclavé dans le tissu urbain, comme c'est souvent le cas à Roubaix-Tourcoing. On a l'habitude, on sait faire. ».
« Le mur va tomber ! »
Il poursuit : « Il était environ 15h20. Mickaël est arrivé parmi les premiers, il allait établir ses lances avec quatre ou cinq collègue. Quelqu'un, parmi les curieux présent sur place, a crié « le mur va tomber ! ». « Mickaël n'a pas eu le temps de se replier, il a été écrasé par l'amas de briques et de béton. Vous savez, sous la chaleur, les poutres métalliques font comme un mouvement de va-et-vient jusqu'à faire tomber les murs auxquels elles sont attachées. C'est ce qui s'est très probablement passé. On ne peut pas prévoir quand ça va tomber. C'est terrible mais c'est le métier. ».
Oui c'est le métier, en 2001, ce sont 18 pompiers qui sont morts en intervention. Le jeune caporal roubaisien doit être l'un des tous premiers de l'année 2002.
Retour sur place dimanche après-midi rue de Naples. Alors que le feu est pratiquement circonscrit, les pompiers qui sont encore sur place et qui font leur boulot parlent à peine entre eux, tout juste pour échanger des consignes techniques. Le colonel Jean-Noël Delaune, directeur-adjoint des secours, est visiblement ému, choqué lui aussi. Il dit et redit les difficultés de ce métier, encore plus aujourd'hui.
Dans ce brouillard ambiant qui rend le spectacle plus irréel avec les gyrophares qui tournent sans cesse, même les badauds qui ont appris le décès du pompier, semblent respecter un silence de deuil. Et les voisins immédiats de la menuiserie sinistrée osent à peine parler de leurs problèmes devant la tragédie à laquelle ils ont assisté, eux en direct. Marqués aussi.
Un jeune pompier pleure contre un mur, le gérant de la menuisier est hagard. La mort est passée.
Maurice Decroix - Nord-Eclair édition du mardi 8 janvier 2002 - Pages locales - page 7
« Il n'y a pas eu d'explosion ! »
Il était occupé à déménager sa maison, rue de l'Ouest, quand M. Crépy a été alerté par les flammes et le bruit. Il a bien sût pensé tout de suite à son commerce de pneus tout voisin, aux milliers de pneumatiques qui y sont entreposés; aux véhicules qui s'y trouvaient.
Dimanche, encore sous le coup de l'émotion car il avait vu le mur tomber sur le jeune pompier, il nous expliquait : « J'ai prévenu les secours de la présence des pneus car cela aurait alors pris des proportions catastrophiques. Ils ont été super ! Et pourtant ils venaient de perdre leur collègue. Quel métier ! ».
On lui demande s'il y a eu une explosion avant la chute du mur. « J'étais tout de suite sur place, je n'ai rien entendu. Sinon après, de petites explosions mais comme de gros pétards, sans doute des bidons de vernis ou quelque chose comme cela. C'est incompréhensible. Quelle malédiction avec la chute de ce mur. Et cela aurait pu être pire car il y avait d'autres pompiers avec la victime… ».
La menuiserie : « on continue »
Le gérant de la menuiserie ravagée par l'incendie ne s'explique pas les causes du sinistre. « Nous sommes installés ici depuis 17 ans, il n'y a jamais eu de problème. Les locaux étaient impeccables, on avait même refait la toiture cette année. On a fermé l'entreprise vendredi soir et tout était normal. Un collègue est passé dimanche pour déposer un document, il n'avait rien remarqué. Non je ne comprends pas ».
Cette menuiserie de la rue de Naples emploie une petite trentaine de salariés. Leur outil de travail est complètement détruit mais ils ne baissent pas les bras pour autant.
« Il n'y aura pas de chômage technique » nous confiait hier matin un conducteur de travaux. Des gars sont déjà sur des chantiers. Il y a une belle solidarité avec les collègues qui vont nous prêter du matériel. Nous allons aménager et utiliser un entrepôt que nous avons juste en face du local détruit. On sait que ça ne sera pas facile mais on continue… ».
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