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Michel Leminque, le gérant de la société, n'en finit pas de répondre sur son téléphone portable. A des clients qui s'inquiètent de leur chantier, à des collègues-concurrents qui lui proposent qui une machine, qui un local ou même de prendre momentanément du personnel pour éviter le chômage.
« Ça n'arrête pas depuis dimanche soir, nous dit-il. Je n'imaginais pas que la solidarité ça pouvait être ça et même si dans le milieu des coopératives ouvrières on a l'habitude de l'entraide. Mais j'ai eu des propositions de coups de main de gens que je ne connaissais même pas. ».
Hier matin, rue de Naples, il s'assure que le vigile qu'il a demandé est sur place. « Je reste responsable des murs et comme il y a encore des dangers d'écroulement, je ne tiens pas à ce qu'un badaud, un enfant, un curieux, soit victime d'un accident ».
« Quand on pense à ce jeune pompier ! »
Et tout de suite il pense au jeune caporal des pompiers tué dimanche alors qu'il était l'un des premiers sur le feu.
« Tout le reste n'a pas grande importance quand on pense à ce pompier, à ce drame. L'un des compagnons était venu dimanche après-midi avec son épouse pour déposer un arrêt de travail. Il n'a rien vu dans le bureau mais a entendu du bruit dans l'atelier. Il a ouvert la porte et a vu la fumée et les flammes. Il est aussitôt sorti sur la rue avec sa femme. Les pompiers, prévenus par des voisins, venaient d'arriver : ils ont vu le pan de mur tomber sur le caporal. Ils sont encore très marqués… ».
Choqués ils le sont tous dans cette entreprise un peu particulière car c'est vraiment « leur » entreprise qui a été complètement ravagée par le sinistre.
Michel Leminque explique : « Nous sommes une SCOP, ça veut dire que le capital est détenu par les salariés. Un nouvel embauché travaille pendant deux ans et alors on voit s'il choisit d'être associé. Une SCOP c'est aussi des réserves impartageables qui doivent assurer la pérennité en cas de coup dur -on en vit un sacré-. Et le gérant est élu pour quatre ans. Chaque salarié c'est une voix et ça n'a rien à voir avec le montant de son capital. ».
C'est en 1985 qu'a été créée à Roubaix les « Compagnons Menuisiers » sur les restes d'une autre SCOP roubaisienne « L'Union des Menuisiers », créée en 1908 et qui avait déposé le bilan.
Il y avait six salariés-compagnons au départ. A part un Portugais qui est retourné dans son pays, ils sont encore tous là. Michel se souvient : « Cette année là, nous avons eu tous les six un fils ! ».
Des cœurs tendres
Compagnons, ce n'est pas un vain mot. On le voit dans l'adversité qui vient de les toucher. Ces hommes du bâtiment, durs à la tâche, sont des cœurs tendres. Claude passe par là, rien que d'évoquer l'incendie et il a la larme à l'œil. Michel le console rudement : « Mais ce n'est rien, on va tout recommencer. ». « A notre âge ? », soupire Claude qui s'empare d'une grosse caisse à outils pour partir sur un chantier.
Car le travail continue.
« Pas de chômage technique, tous les gars sont au boulot », affirme Michel Leminque. Tout le monde, c'est à dire une trentaine de salariés. »
Momentanément ils ont pris possession d'un vaste entrepôt que la SCOP avait justement acheté en vue d'une extension de l'activité.
Le gérant s'interroge : « J'espère que nous aurons rapidement les autorisations administratives et autres pour installer quelques machines. J'attends aussi les interventions d'EDF, de France Télécom. Nous avons tout perdu : nos machines toutes neuves, nos sept ordinateurs. Et dire que nous venions de refaire entièrement les bureaux et même une cafétéria. C'était impec ! ».
Les experts des assurances doivent venir aujourd'hui de Paris. « Nous sommes bien assurés, j'espère que ça va aller vite. ».
On pose la question : « Vous allez rester à Roubaix ? ». La réponse fuse : « Bien sûr que oui ! Nous sommes bien ici; dans ce quartier nous n'avons jamais eu de problèmes particuliers. Les parents disent aux jeunes : « ce sont des ouvriers qui travaillent ensemble, il faut les laisser en paix ».
Michel Leminque répond à un nouvel appel sur son portable : « Encore une proposition de coup de main. C'est fou ! ».
Il jette un œil sur le petit bout de façade des anciens bureaux et ateliers. L'amoncellement de briques et de gravats qui jonchent le sol rappellent, si besoin était, le drame qui s'est joué dimanche vers 15h20.
Deux petits bouquets de fleurs ont été déposés, hommage au jeune caporal Mickaël Dufermont, mort au feu. Un compagnon du devoir en quelque sorte. Et les Compagnons Menuisiers savent ce que ce mot veut dire.
Maurice Decroix - Nord-Eclair édition du mercredi 9 janvier 2002 - Pages locales - page 7
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